A mon arrivée dans ce vaste campus, bordé de maisons en bambou, la première chose qui m’a interpellée, c’est la solidarité des gens qui y vivent. Après avoir traversé l’Afrique, puis l’Europe, j’ai atterrir en Asie. Ce continent qui m’était totalement étranger est devenu ma terre de cœur, et le peuple Karen ma famille de substitution. La notion d’intimité y est très limitée, tout le monde mange ensemble, chante ensemble, rit ensemble, joue ensemble et dorme ensemble. Quand je demande à mes étudiants ce qu’ils souhaiteraient faire de leur vie plus tard, sans exception, j’obtiens la même réponse de tout le monde : « aider mon peuple ! » Malgré un avenir incertain dont ils ont pleinement conscience, l’espoir de devenir médecin, infirmier, professeur pour venir en aide à leur communauté, les anime.

Si je devais décrire en un mot ce peuple, je dirais attachant ! Attachant comme je n’en ai jamais vu durant mes précédents voyages. Je suis venue pour leur apprendre l’anglais, mais ils m’apprennent tous les jours la vie, la bonté et le sens de la communauté. Je suis venue égoïste, j’en repars généreuse. J’y suis venue perdue, j’en repars épanouie. Comment vous décrire une communauté qui n’a pas été pervertie par la mondialisation ? Ils sont purs, généreux, drôles, simples et se contentent d’un bon repas tous ensemble pour être heureux. A leur côté, je me sens à l’abri de la perversion humaine, de la malhonnêteté, de l’avarice, de l’égoïsme, et de l’individualisme. Ils sont pauvres mais leur cœur est plus riche que quiconque. Ils ont été persécutés chez eux, tués, emprisonnés, torturés, et pourtant ils n’ont pas une once de colère qui les habite.

Chacun contribue à sa manière au fonctionnement du campus. Certains s’occupent des champs après les cours, d’autres du nettoyage du campus, ou de la couture. Certains anciens étudiants sont même devenus professeur sur le campus. Les tâches sont ainsi réparties de manière équilibrée pour que tous soient impliqués dans le fonctionnement de Thoo Mweh Khee.

Nous sommes plusieurs professeurs, pas autant qu’il en faudrait mais assez pour que tous les enfants, ado et jeunes adultes puissent être suivis. Dermot est irlandais, il est venu pour un stage de quelques mois et a fini par tout quitter en Irlande et est installé ici depuis 3 ans. Il a même appris le Karen. David, un sexagénaire néo-zélandais est ici depuis 3 ans également. La première fois que je l’ai vu sur son petit scoot, j’ai tout de suite adoré ce papi. 3 indiennes de Nagaland sont là pour 2 ans, Victor mon ancien camarade de fac est français, et moi, une tunisienne. Les autres professeurs sont Karens, pour la plupart, ils sont d’anciens élèves du campus.

La relation entre professeur et étudiants est incomparable à celle que j’ai vu en Afrique ou en Europe. La notion d’autorité n’existe pas. C’est une relation entre un donneur et un receveur, un apprenti et un professeur, mais surtout c’est une relation d’amitié très forte entre gens qui sont assoiffés de connaissance et d’autres qui aiment apporter. Je dis amitié car lors de mon premier cours, la première question à laquelle j’ai eu droit était si j’avais un boyfriend ! Puis d’autres ont suivi : as-tu des frères et sœurs? As-tu déjà été amoureuse ? Combien de boyfriend as-tu ? L’innocence et la spontanéité qui les habitent m’avaient surprise, moi qui suis habituée à la relation uniquement professionnelle entre prof et étudiants. Nous ne parlons pas de vie privée en France avec nos profs, encore moins dès le premier cours. Ces questions qui auraient pu paraitre intrusives, venant d’eux, elles paraissent si anodines et drôles.

Je suis chargée de donner des cours de Drama et de Reading class, c’est l’équivalent de théâtre et études de texte. En drama, les étudiants se lâchent totalement. Ils apprennent des scripts et les jouent devant le reste de la classe. N’ayant jamais assisté ou vu une pièce de théâtre, ils ne prennent pas au sérieux le jeu de rôle. La plupart d’entre eux explosent de rire en pleine prestation. Et on finit tous par rigoler.

Le Reading class est l’équivalent de l’étude de texte. Un texte à lire et à comprendre, puis des questions à répondre. Ces cours sont dispensés dans l’église, faute de salles libres. Il y a un piano dans l’église. Avant et après chaque cours, l’un des étudiants nous joue un morceau. Les musiciens de Thoo Mweh Khee sont autodidactes. Ils ont une capacité d’apprentissage assez impressionnante. James Dean avait dit un jour : « Puisqu’on peut changer la direction du vent, il faut apprendre à orienter la voile ». C’est exactement ce que font les Karens. Ils ne peuvent changer la situation politique de leur pays, mais ils ont appris à vivre avec.
Yosr Dallegi

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